Loin jeter cerveau

lundi 29 avril 2019

Bombaysers, EuropeXXL, Renaissance, Eldorado... Lille3000 nous projette toujours loin et/ou à une autre époque. Idem, donc, pour le peu d’esprit critique qu’on y trouverait. Ce week-end d’inauguration nous en a donné deux illustrations, dont l’une a été censurée. Qui paie les violons choisit la musique.

Nous avions interpellé les muralistes des Tlacolulokos, embauchés par Lille3000, à propos du tatouage « Eldorado » sur le dessin d’une jeune fille zapotèque. Ils se sont rattrapés en dessinant aux abords de la Maison Folie Moulins trois émeutières tatouées d’un A cerclé, d’une kalachnikov, d’un cocktail molotov et d’un « A.C.A.B. » (acronyme de « Tous les flics sont des bâtards »). Un message que les muralistes ont dû recouvrir. Certes, il n’y a pas eu de décision de justice réclamant censure. Mais la pression exercée par le syndicat de police Alliance sur la mairie de Lille, la préfecture, le ministre de l’Intérieur et Lille3000 aura eu le même effet.

Le scénario aurait pu être différent. Lille3000 aurait pu défendre ses artistes et leur liberté d’expression plutôt que de s’allonger devant le premier grincheux venu. Nous aurions eu un débat devant le juge sur le « rôle » de l’art – s’il devait en avoir un.
Écrire que « tous les flics sont des bâtards », est-ce un « appel à la haine envers les policiers », comme le suggère Alliance ? Ou le témoignage d’une réalité – celle de femmes mexicaines, peut-être zapatistes, qui ont effectivement pris les armes en 1994 en pensant que les flics sont des « bâtards » ?
Une fresque ne doit-elle être que décorative, comme le veut la conception bourgeoise de l’art et de Didier Fusillier pour qui « l’art, souvent, il n’y a rien à comprendre » ? Ou bien des points de vue peuvent-ils s’afficher, se défendre, se critiquer, être discutés par les artistes et les spectateurs ?

Olivier Sergent, le directeur de la Maison Folie Moulins, s’est défendu de toute attaque contre les flics français : les muralistes « faisaient référence à un contexte dans leur pays », prétend-il. Sauf que l’acronyme A.C.A.B. signifie bien que « tous les flics sont des bâtards », pas uniquement ceux corrompus par la cocaïne mexicaine. Sans l’(auto)censure, nous aurions pu discuter de la police française, ses mutilations et son rôle d’empourrissement de la mobilisation des « Gilets jaunes ». Mais non. Si l’esprit critique est toléré par Lille3000, il doit porter très loin ou il y a très longtemps.

Autre exemple ce week-end avec la commissaire d’exposition de La Déesse verte à la Gare Saint-So. Dorothée Dupuis a répondu à l’interpellation de l’association P.A.R.C. et du collectif Fête la Friche qu’elle n’est pas là pour servir de paravent à la destruction de Saint-Sauveur : son expo serait même « extrêmement critique » à l’égard de « l’exploitation globale du monde ». L’herbe est-elle encore moins verte ailleurs ? Possible. Mais nous, ce n’est pas un scoop, habitons ici et maintenant. Pour nous, l’exploitation globale du monde commence sur la friche Saint-Sauveur en 2019.

« Les fresques provoquent souvent la polémique. L’art, c’est une question de réflexion et de critique », ont revendiqué les muralistes. Pas pour Lille3000 : les spectateurs ne sont là que pour danser, s’amuser, kiffer ; les événements servent à arracher des articles laudateurs à la presse nationale voire internationale pour vendre la marque « Lille », remplir les hôtels et les T.G.V. Lille3000 n’est pas une entreprise culturelle, c’est une entreprise de diversion pour les spectateurs, à but lucratif pour ses organisateurs. Contrairement à ce que prétend Martine Aubry, Lille3000 nous empêche de penser. Lille3000 doit donc être dissoute dans les plus brefs délais.

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La Déesse verte, la vraie.