Lettre ouverte à Dorothée Dupuis, commissaire de l’expo La Déesse verte

vendredi 26 avril 2019

Madame,

Vous êtes commissaire de l’exposition phare de la nouvelle édition de Lille 3000, « La Déesse Verte », laquelle se tiendra à « La gare Saint-Sauveur », pour une durée de plus de 6 mois.

Nous attirons votre attention sur le contexte tendu et problématique dans lequel se tient votre exposition. Prenant « l’apparence ludique d’une vaste serre » dédiée à « la Nature, cet eldorado qu’il faut préserver », elle se tiendra juste de l’autre côté du mur qui sépare « la Gare Saint-Sauveur » des 23 hectares d’une friche et son « Belvédère ». Or ce site fait l’objet d’un pharaonique projet de bétonnage qui suppose de supprimer l’essentiel de la Nature qui s’y est réfugiée. Cette destruction concerne notamment : 159 espèces végétales dont 3 protégées, 29 espèces d’oiseaux dont 21 protégées, un cortège d’insectes varié ou encore deux espèces de chauve-souris protégées au niveau européen. Ce projet est vigoureusement dénoncé par de nombreuses associations environnementales (PARC, ASPI, Entrelianes, les Amis de la Terre, Nord Ecologie Conseil, Fête la Friche, etc.) ainsi que par de nombreuses Lilloises et Lillois qui aspirent à un poumon vert pour les quartiers populaires.

Le projet de ZAC Saint Sauveur a été suspendu par une décision du Tribunal administratif en octobre 2018. Dans ce cadre, l’exposition « La Déesse Verte » s’interprète au mieux comme une provocation, au pire comme un simulacre d’un immense cynisme. La Nature Potemkine de votre exposition sera précisément érigée comme paravent à la destruction de cette friche.

Jadis vous dénonciez la manière dont le pouvoir politique exerçait sa domination en produisant les « récits autorisés » de la colonisation, contribuant ainsi à « refouler » - pour reprendre vos mots - la négation des formes de vie antérieures à son arrivée ainsi que la destruction dont s’originait cette domination. De la même manière, l’exposition « La Déesse Verte » participe de l’imaginaire officiel visant à refouler la destruction de nature sur la friche Saint Sauveur. Étant donné les enjeux dont est porteuse l’exposition « La Déesse Verte » ainsi que vos convictions politiques affichées, nous vous demandons quelques précisions :

- Avez-vous été informée du contexte dans lequel s’inscrit votre exposition ?
- Si oui, comment justifiez-vous cette exposition au regard de vos prises de position politiques ?
- Si non, que dites-vous de l’instrumentalisation dont votre exposition fait l’objet ? Et quelles positions adoptez-vous par rapport au projet d’aménagement prévu pour cette friche ?

Nous nous tenons à votre disposition pour exposer plus avant les éléments de ce dossier, de même qu’à celle des artistes et galeries que vous avez associés à cette exposition potentiellement objet de vives controverses.

Veuillez agréer, Madame la Commissaire d’exposition, l’expression de nos salutations distinguées.

P.A.R.C. et Fête la friche, le 23 avril 2019

JPEG - 105.2 ko

Illustration de La Déesse verte


[1] p.3 du livret « Eldorado à Saint Sauveur – Exposition La déesse verte »
[2] comme le reconnaît l’étude d’impact du projet, « la pérennité des espèces protégées ne p[ouvant] être assurée au sein du futur quartier Saint-Sauveur » (p.34).
[3] cf. l’étude d’impact
[4] cf. la pétition aux 13000 signataires Sauvons Saint-Sauveur - Lille étouffe